Je n’apprécie pas Saints Row : The Third, c’est un fait. Je le trouve beaucoup trop fainéant, faisant du « fun » un véritable cache-misère. Pour autant, je lui reconnais une immense qualité : il est droit dans ses bottes, va au bout de ses idées, reste cohérent tout du long, érigeant le Penetrator, un gode géant utilisé comme arme, en ligne directrice. « Fun » est alors son maître-mot et il l’assume à 100%. Ce n’est pas le cas de Saints Row, reboot de la saga sorti récemment, qui ne sait jamais vraiment à quels Saints se vouer.
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Message d’alerte : ce test de Saints Row 2022 est complémentaire de Saints Row : quand THQ avait tout pour concurrencer GTA, une longue analyse revenant sur l’évolution de la saga : du premier opus aux grandes ambitions, jusqu’à la faillite de THQ. Une première version du test a également été publiée sur le site GamingNewZ.
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AU COMMENCEMENT, IL Y AVAIT UN SAINTS
De simulateur de vie de voyou à jeu de super-héros, la franchise Saints Row a fait beaucoup de chemin depuis 2006, date du lancement du premier opus. Mais c’est seulement après avoir côtoyé les enfers en 2015 avec le spin-off Gat Out of Hell qu’elle s’aperçoit être allée au bout du bout ; il faut dire qu’il est difficile d’explorer un futur après avoir fait de son « playa » un Président des États-Unis devenu super-héros combattant les petits hommes verts et de Johnny Gat, un protagoniste défiant Satan droit dans les yeux. Pour perdurer, il n’y avait donc qu’une seule et unique option, faire machine arrière. De là naît Saints Row, un reboot qui, comme son nom l’indique, prend un tout nouveau départ avec pour idée de convaincre aussi bien les fans de la première heure que ceux qui ont préféré le ton déluré des suites ; un pari plus que difficile, supposant d’ores et déjà deux discours opposés. Malgré tout, après avoir balayé d’un revers de manche toute l’histoire de Boss premier du nom, celui qui a fait ses premiers pas à Stilwater et régné sur la ville de Steelport, ce cru 2022 fait dans la plus pure tradition de la franchise : il débute son récit dans un éditeur de personnage ici appelé Boss Factory. De la couleur à la texture de la peau, aux mèches de cheveux, en passant par la taille des seins et/ou du pénis, tout peut être modulé pour façonner le Saints de ses rêves, même si, il faut l’avouer, il manque des détails pourtant présents dans le premier chapitre. À quoi bon avoir la liberté de créer une sorcière ou un gangster vert luisant ou teinté d’or s’il n’est plus possible de choisir sa manière de porter son couvre-chef, son pantalon ou sa chemise ? Dans tous les cas, une fois le personnage souhaité établi, nous voilà plongés dans une toute nouvelle aventure, celle de Boss second.
À l’image du tout premier Saints Row, ce reboot propose de tout reprendre depuis le début… Mieux, cette version 2022 va plus loin encore. Cette fois-ci, les Saints n’existent pas, ils ne sont même pas une chimère dans la tête de notre personnage qui, pour l’instant, s’entête à enchaîner les petits boulots pour payer son loyer. C’est seulement à force de se prendre des bâtons dans les roues, de faire des pieds et des mains pour s’acheter un gaufrier et d’être pris pour un moins que rien par ses supérieurs que lui vient ce goût pour la rébellion. Cette révolte, vous l’avez deviné, se métamorphosera par la suite en la naissance des Saints, un groupe pour l’heure composé de Boss second et de trois de ses colocataires et amis : Kev, un DJ ayant une passion prononcée pour la cuisine, Neenah, une pilote chevronnée, et Eli, l’intello de la bande. Même si ce récit est un peu passe partout et perd rapidement de sa superbe en accélérant le rythme dans sa seconde moitié, j’aime qu’il propose, à la manière de Scarface de Brian De Palma, d’assister à l’ascension d’un (anti)héros : de gosse de rue fauché au maître absolu de Santo Ileso, une toute nouvelle destination. Cette dimension est appuyée avec brio par l’arrivée d’une mécanique de jeu inédite : désormais, le joueur peut assoir son emprise sur la ville en construisant ici et là des entreprises illégales. Une initiative réussie qui donne accès à des missions annexes qui prennent la forme d’Activités, des mini-jeux rigolos que les fans de la saga connaissent très bien. Même si, encore une fois, toutes les propositions ne se valent pas, on peut apprécier leur mise en place bien plus organique qu’autrefois, faisant directement écho au fait que les Saints bâtissent leur propre empire. Voir débarquer une boutique de fringues à l’effigie du gang vêtu de violet en plein milieu d’une cité de latinos ou une usine de triages de déchets au beau milieu des gratte-ciels montrent que les Saints sont influents, qu’ils ont le contrôle de tout. Toutefois, malgré cette idée plus que bienvenue qui, normalement, renforce la sensation de faire partie d’une communauté, avec ce reboot, on a beaucoup moins l’impression d’être à la tête d’un groupe important, mais simplement d’une petite famille qui vient de temps à autre prêter main-forte lors de diverses missions. Il faut dire que les membres des Saints ne se baladent plus dans les rues comme dans les précédents opus, préférant rester cloîtrés dans leur QG, une église qui évolue au fil des chapitres. Cela signifie qu’il n’est plus possible de recruter un ami ou une amie à la volée pour partir semer la zizanie dans la métropole et que l’on se retrouve seul la grande majorité du temps. Ce qui faisait l’originalité de la saga par rapport à la concurrence – GTA V pour ne citer que lui – disparaît alors. Avec cet aspect en moins, Boss perd de son pouvoir, son rôle est beaucoup moins crédible, et de son côté, Volition détruit tout ce qu’il a amené avec l’arrivée des entreprises illégales.
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LE FUN COMME MAÎTRE MOT, MAIS PAS TROP
Même si le soft emprunte beaucoup au premier opus, son évident modèle reste The Third. Tout comme lui, le maître mot de ce Saints Row sauce 2022 est « fun ». Tout est pensé pour fournir des situations comiques. Le titre propose des dizaines d’idées pour rendre le tout plus drôle, à commencer par les dialogues qui, bien que plus sages qu’autrefois, jouent beaucoup avec la dérision et les codes des buddy movies, ou par la mise en place de moyens de locomotion étonnants comme le wingsuit ou bien le hoverboard, un genre de skate volant. Malheureusement, le terme « fun » semble une fois de plus prendre l’ascendant, quitte à grignoter la qualité du reste. Si la création de Volition peut amuser les premières heures par ses invraisemblances et ses séquences loufoques, à force, cela peut ennuyer, tout simplement parce que le reste ne suit pas. Avoir un hoverboard dans un GTA-like, c’est drôle, c’est vrai, mais pouvoir le contrôler sans que tout parte dans tous les sens aurait été plus malin ; faire face à des intrigues comiques lors des cinématiques, c’est cool, mais il aurait été intéressant de les mettre en valeur avec des cadrages travaillés, influencés par le 7e art et non balancées telles quelles dans la tête des joueurs. Malheureusement, à l’image de The Third, tout de ce nouveau Saints Row inspire le même constat : le matériau de base est bon, mais expédié à la va-vite, avec l’idée que le « fun » bernera tout le monde et fera oublier les nombreux errements, surtout de gameplay.
Saints Row a eu plus de temps de développement que prévu. Alors qu’il devait sortir le 25 février 2022, la production a été repoussée de plusieurs mois, jusqu’au 23 août de la même année. La « priorité » pour Volition était « de créer le meilleur Saints Row. » Une initiative tout à leur honneur, mais peut-être bien qu’il aurait fallu plus d’heures encore pour atteindre l’objectif fixé. D’une certaine manière, j’aime bien ce reboot, impossible de dire le contraire, mais il aurait pu être bien plus : un bon jeu déjà, mais aussi un TPS ultra-efficace, surtout avec ses finish-moves qui viennent ponctuer les affrontements et l’arrivée du Flux qui permet d’activer des Capacités Ultimes, comme le fait de lancer des grenades anti-gravitationnelles. Néanmoins, si la base est là, le reste ne suit pas, semble bâclé, et c’est encore plus décevant lorsque l’on sait le potentiel qu’il y a derrière. Les gunfights sont plats, manquent de punch, à cause d’une I.A. constamment à la ramasse et d’une proposition qui se contente du minimum. Si les fonctionnalités de la DualSense, comme les gâchettes adaptatives, avaient pu amoindrir cet aspect du jeu, voilà que cette option – initialement au programme – est complètement cassée. Un bug parmi tant d’autres, puisqu’il n’est pas rare de faire face à des crashs, des problèmes de collisions, des contrôles abstraits, des animations imparfaites et même des scripts qui ne se lancent pas. Quitte à me répéter, tout semble une fois de plus lissé au profit du « fun » et de situations rocambolesques qui, pourtant, ne sont plus aussi nombreuses. Contrairement à The Third qui essayait de se réinventer sans cesse, cet épisode, sans inspiration aucune, se contente souvent d’enchaîner les hordes d’ennemis à abattre dans des levels-designs absolument paresseux qui ne sont pas adaptés à toutes les difficultés. Parfois, c’est tout simplement impossible de réussir un passage dans le niveau maximum, tant rien n’a été pensé pour. Du côté des armes, on tombe également sur quelque chose de plus traditionnel, de moins osé, à croire que la dimension « fun » n’est finalement qu’à moitié assumée. Autrement dit, à vouloir contenter tout le monde, on finit par avoir le fessier entre deux chaises.
Même constat en ce qui concerne la partie conduite. Si un effort a été fait de ce côté-là – c’est vraiment plus agréable manette en mains que lors des précédents chapitres –, impossible de ne pas grincer des dents face à l’approximation des collisions qui, pour être clair, sont absentes. Cela vient gâcher toutes les courses-poursuites qui se veulent pourtant explosives avec l’arrivée de plusieurs idées dynamisant l’action, comme le fait de pouvoir monter sur le toit de sa propre voiture afin d’utiliser tout son arsenal ou bien de réaliser des takedowns à ses ennemis comme dans Burnout 3… Mais vu qu’il n’y a pas vraiment d’impact lors d’un accrochage, à quoi bon envoyer un adversaire dans le décor ? Sur la route, en pleine poursuite, c’est souvent du grand n’importe quoi, avec des citadines ou des 4×4 qui volent dans tous les sens puisque rien n’arrête le joueur ou ne stoppe ses poursuivants. Il est en effet possible de faire un face-à-face sans être punis, et ce, même en moto. Petite anecdote rigolote, bien que Saints Row mette l’accent sur la liberté d’action, en voiture, il ne laisse pas le joueur jouer comme il l’entend, le poussant sans cesse à être au-dessus des lois. S’arrêter à un feu rouge, c’est assister à un accident, puisque l’I.A. des citoyens n’en a que faire de votre présence sur son chemin.
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UN VASTE MONDE TOURNÉ SUR LUI-MÊME
Si Saints Row a beaucoup de faiblesse, il faut avouer qu’il a également de belles qualités. Je souhaite mettre en avant sa nouvelle destination qu’est Santo Ileso : cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un terrain de jeu aussi varié et passionné dans un GTA-like. C’est simple, Santo Ileso se regarde comme un parc d’attractions : avec fascination. Bien plus inspirée que Stilwater et Steelport réunis, Santo Ileso ne se cantonne pas à singer la configuration des métropoles du Nord de l’Amérique, mais façonne tout un écosystème crédible qui fait voyager dans des environnements directement tirés de Las Vegas et du désert du Nevada. Malgré un clipping prononcé, tous les décors semblent réfléchis et sont agencés intelligemment pour que le joueur puisse évoluer librement au sein même de cette carte sans même utiliser le GPS. Si vous êtes perdu, il suffit de relever la tête et de chercher un point d’accroche comme un monument que l’on voit au loin ou des architectures qui varient drastiquement d’un quartier à l’autre, et ce, tout en conservant une vraie cohérence. Le tout est aidé par une direction artistique qui fait mouche et le fait qu’il y ait toujours quelque chose à découvrir, comme un avion écrasé dans le désert transformé en stand de tir, une rue piétonne traversée par un joli ruisseau, des motels reclus, des ruelles par milliers, des casinos par dizaines… Franchement, Santo Ileso est une réussite… enfin, sur le plan visuel.
Sans surprise, Volition ne l’utilise pas à bon escient. Au-delà du fait que le tout manque cruellement de vie – les passants semblent juste posés là, à errer dans la ville comme des robots –, la campagne principale n’exploite jamais cette nouvelle proposition. Contrairement à autrefois, où il était forcé de traverser la zone de jeu en long en large et en travers pour activer des missions, désormais tous les objectifs principaux peuvent et doivent être lancés depuis le téléphone portable de notre héros, qui prend la forme d’un sous-menu lorsque l’on presse le pad de la manette sur PlayStation 5. Autrement dit, il n’est plus nécessaire de se rendre à un point de rendez-vous pour démarrer une mission, mais simplement d’appuyer sur une succession de touches. Ce que l’on gagne alors en rapidité d’exécution, on le perd en immersion, surtout qu’une fois un contrat rempli, le soft nous téléporte à nouveau à l’Église des Saints, lieu qui est utilisé comme étape obligatoire de 80% des objectifs du jeu. Malgré toute l’énergie qui a été fournie par les développeurs pour concevoir Santo Ileso, le titre n’exploite pratiquement jamais cette ville et ne laisse que peu de place au joueur pour qu’il puisse se l’approprier.
Tout comme The Third, Saints Row est généreux, mais il est aussi, et surtout, ultra imprécis. En souhaitant jouer sur deux tableaux pour toucher un public plus large, ce reboot se noie dans une pluie d’idées sans jamais réussir à les mettre en valeur. Si le titre dit que Boss est à la tête de tout un gang, il ne l’affiche jamais clairement ; si la production se veut fun, elle propose des gunfights mous du genou et empêche parfois le joueur de jouer comme il l’entend ; et si la ville est belle à en tomber, jamais cette dernière n’est utilisée dans la campagne principale. Bourré de contradictions, le soft ne sait donc jamais sur quel pied danser. Cette approximation constante et ce manque de cohérence entre ce qui est dit et ce qu’il est possible de faire font de cet open-world un jeu somme toute moyen. Une production qui peut faire sourire les premières heures, mais qui fait souffler du nez la majeure partie du temps.