30 ans… Cela fait 30 ans maintenant que la saga Street Fighter se regarde attentivement le nombril, sans même considérer ce qui se fait chez la concurrence, à commencer par son plus fidèle opposant, Mortal Kombat. Ce regard auto-centré a permis à la licence de garder son authenticité, de ne jamais se trahir, mais c’est aussi ça qui l’a empêchée de toucher un public plus large, la série cohabitant encore et toujours avec les fans de la première heure. Avec Street Fighter 6, changement de stratégie : pour la première fois, la licence phare de Capcom observe ce qui se fait chez les autres pour mieux s’ouvrir aux nouveaux venus, pour le meilleur et pour le pire.
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Street Fighter 6 : la révolution de la saga ? (version vidéo)
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Tout comme Tekken en son temps ou la saga Mortal Kombat qui disposent de jeux dans le jeu – Tekken Force pour l’un, Konquest, Krypte et Motor Kombat pour l’autre – , Street Fighter 6 ne se contente plus d’une unique proposition où le joueur a pour seul but d’affronter en 1 contre 1 un autre combattant. Dès l’écran titre, le jeu annonce la couleur. Trois sous-menus sont à disposition : Fighting Ground, Battle Hub et World Tour. Si le premier rassemble tous les impératifs d’un Street Fighter avec les incontournables Arcade, Versus, Entraînement et autres Matchs Classés, et si le second fait plus ou moins office de doublon avec le reste, le mode World Tour, lui, apporte un souffle nouveau à la série et du contenu pour les néophytes, catégorie de joueurs et de joueuses trop souvent oubliée par la franchise.
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« J’AI PARLÉ À LA RUE »
Avec le mode World Tour, la saga Street Fighter n’a jamais aussi bien porté son nom. Une multitude de spin-off et six épisodes canoniques ont été nécessaires pour qu’enfin la licence épouse la définition de son terme « street » : par le biais de World Tour, Street Fighter 6 souhaite nous transmettre les codes de la rue, de la culture hip-hop, sa musique et son art pictural. La Krypte de Mortal Kombat 11, mélancolique, cruelle et constamment plongée dans l’obscurité, laisse place à Metro City, ville nord-américaine reprenant les traits de celle de Final Fight, beat’em up emblématique de Capcom (qui a d’ailleurs participé à donner vie au grand classique Streets of Rage). Toutefois, Metro City n’est pas qu’un coffre à jouets géant, puisqu’elle reprend aussi les bases de Kamurochô, quartier théâtre des crimes de la saga Yakuza, ou de The City, la ville ouverte des NBA 2K. Il est donc possible de se balader librement dans les ruelles et les grands axes de cette métropole, puis de participer à des mini-jeux pour gagner quelques zennies, la monnaie du soft, ou même d’aller dans des boutiques de fringues pour adopter un tout nouveau style ; parce que, oui dans Street Fighter 6, il est possible de concevoir son personnage de la tête au pied.
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Le style à son importance : Comme tout jeu qui traite de la rue, la vraie (Def Jam : Fight For NY, Saints Row, GTA : San Andreas), Street Fighter 6 place la mode sur un piédestal. Le joueur peut donc créer son combattant ou sa combattante de A à Z, et par la suite, l’habiller comme bon lui semble. Tout cela fait sens, puisque le paraître, le style, est peut-être l’une des caractéristiques les plus précieuses de la culture hip-hop et plus généralement du monde de la street (pour plus de renseignements, je vous propose de lire mon article Saints Row : quand THQ avait tout pour concurrencer GTA). Malheureusement, quoique l’on fasse, il est tout simplement impossible d’avoir le charisme ou la classe d’un combattant du roster de Street Fighter 6 pour la simple et bonne raison que les joueurs et les joueuses ne disposent pas des mêmes outils que Capcom pour façonner leur héros ou leur héroïne. Notre personnage dénote avec le reste du casting, son chara-design manque d’harmonie et ses habits, de textures, d’épaisseur.
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En zonant ici et là, il est également possible de rencontrer de nombreuses têtes connues de la franchise, comme Chun-Li, Ken et Ryu, afin d’apprendre leur technique respective pour, par la suite, affronter tout un tas d’opposants. C’est vraiment la bonne idée de ce World Tour, puisque le titre mélange habilement beat’em up et versus fighting dans une seule et même proposition. Il est donc possible de défier qui l’on veut ou presque dans la ville, à commencer par les passants qui ne disent jamais non à un petit tête-tête, mais aussi par les nombreux gangs investissant – un peu trop – les lieux. Quand le joueur se lance dans un combat, en un simple coup d’œil, la caméra à l’épaule disparaît au profit d’une vue en 2.5D, marque de fabrique des Street Fighter HD, qui reprend exactement là où la castagne a débuté. Un joli exploit qui permet de constamment varier les décors.
Toutefois, si Street Fighter 6 veut pleinement donner du sens au mot « street », il en oublie son essence. La rue n’est pas seulement un environnement avec des graffitis ici et là, c’est un mode de vie, un espace vivant, bruyant aussi, où de nombreuses personnes vaquent à leurs occupations. Et là, clairement, Metro City n’a pas d’âme. L’ambiance hip-hop est complètement diluée, s’arrête à des détails, tandis que la ville, exceptée Chinatown qui profite d’un soin particulier, manque de densité : les bâtiments sont lisses, génériques, inhabités, les rues sont propres comme des sous neufs et tout est parfaitement rangé, parallèle et perpendiculaire. Le plus choquant réside dans l’absence de bruit environnant : pas de klaxons, de moteurs rugissants, de cris, de rires, de discussions ou même de chants d’oiseaux dans le parc du centre-ville… rien. S’il n’y avait pas les pas de notre avatar qui résonnent et cette petite musique qui tente vainement de combler un très grand vide, côté ambiance sonore, ce serait tout bonnement le néant absolu ou presque. Pour donner un petit exemple, des PNJ s’amusent à faire des battles de danse à un endroit précis de la ville, et ce, sans même s’esclaffer, se disputer, s’encourager. Autrement dit, la ville a seulement été pensée en tant qu’espace de jeu pour mettre en place des mécaniques précises, plutôt que comme un véritable écosystème. C’est sûrement pour cette raison que le sentiment de liberté repose seulement sur le fait d’enchaîner des mini-jeux pas toujours réussis, des affrontements par dizaines pour monter de niveaux ou remplir des contrats, ou encore de trouver des objets cachés. Vous l’aurez compris, j’aurais aimé plus… J’aurais aimé que la ville ne soit pas qu’un simple décor, que la planque de notre combattant ne se résume pas à un menu permettant de passer du jour à la nuit et surtout que ce soit plus vivant, plus organique. Pour combler cette lacune, l’Arène de Metro City aurait pu directement intégrer le second mode, Battle Hub, soit le lieu de rendez-vous en ligne de tous les joueurs et joueuses du monde entier.
Les déceptions s’enchaînent puisque l’appellation « World Tour » est également sous-exploitée : excepté Nayshall, la seconde ville du jeu, toutes les destinations ne sont que des plans fixes impossibles à explorer qui reprennent les décors des différents stages du mode Fighting Ground. Cette proposition rappelle d’une certaine manière Street Fighter II qui, en 1991, partageait déjà la même ambition avec ces chargements nous proposant de voyager à chaque rencontre sur une jolie carte du monde. Pour couronner le tout, le mode Word Tour n’est pas du tout à la hauteur d’un jeu next-gen visuellement parlant, la faute à des textures pauvres et à une direction artistique timide qui se réveille (trop) tardivement, lorsque le joueur débarque dans la seconde zone ouverte. Ajoutons le fait que la technique est aux fraises, le clipping étant omniprésent et le mode Résolution parfaitement injouable dès que l’on entre en phase de combat.
Ce World Tour est bourré de bonnes intentions, à commencer par le fait de rendre accessible la recette Street Fighter à tout un pan de nouveaux joueurs, en proposant une véritable aventure à la durée de vie conséquente (comptez entre 15 et 20h pour voir les crédits). Mais malheureusement, il ne va jamais au bout de ses idées. Ce qui pouvait donc être la parfaite entrée en matière pour les joueurs solitaires se présente finalement comme une déception qui met difficilement en valeur les qualités de la franchise. Et pourtant, elle en est blindée, comme l’atteste le mode Fighting Ground.
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LA BASTON, LA VRAIE
Comme on pouvait s’y attendre, c’est lorsqu’on s’attarde sur le mode Fighting Ground que Street Fighter 6 excelle. Et paradoxalement, cette proposition, pourtant plus classique, arrive à bien mieux retranscrire la culture « street » tant rêvée par le mode World Tour. Le chara-design des 18 personnages du roster et tous leurs costumes ont été pensés pour adopter cet univers. Ken et Ryu ne se baladent plus en kimono, mais arborent des tenues de tous les jours, des joggings, des docks ou des parkas usées. C’est aussi le cas de Cammy, qui laisse tomber le bikini militaire au profit d’une petite veste en jean et d’un crop-top à la mode. L’ambiance générale et les explosions de couleurs lorsque l’on assène un Drive Impact (coup défensif) résonnent également comme un bel hommage à l’art de rue. Ajoutons à cela que les combattants et combattantes aux corps et aux morphologies variés bougent drôlement bien : leurs muscles se contractent en fonction des animations, et chaque mouvement est détaillé avec soin pour une lisibilité maximum en plein affrontement. Le tout est en plus dynamisé par l’arrivée des Critical Art, des coups spéciaux qui en mettent plein les yeux et permettent de renverser la tournure d’une partie. Contrairement au mode World Tour, tout ce que propose Fighting Ground sur le plan artistique est cohérent, bien pensé. Petit bémol cependant : les environnements en arrière-plan n’ont pas bénéficié d’autant de soin que souhaité. Ils restent malgré tout agréables à l’œil, grâce à de jolis jeux de lumière.
Une fois que l’on entre dans l’arène, Street Fighter 6 redevient le king qu’il a toujours été. Chaque affrontement est intense, tant il est difficile de savoir à l’avance l’issue d’un match. Désormais, connaître les différents combos sur le bout des doigts n’est plus forcément synonyme de victoire, puisque pour la première fois dans l’histoire de la saga, il y a un parfait équilibre entre attaque et défense. La Jauge Drive mentionnée plus tôt, y contribue grandement. Elle ajoute une dimension stratégique bienvenue, tout en favorisant les blocages et les contre-attaques. Un joueur moyen mais très observateur peut alors perforer des attaques trop intensives pour reprendre le dessus. Une bonne idée qui vient une fois de plus ouvrir le champ des possibles.
D’ailleurs, le mode World Tour et la Jauge Drive ne sont pas les seuls éléments à intégrer ce sixième opus pour rendre la recette Street Fighter plus accessible. Capcom a eu la bonne idée de proposer, en plus des contrôles classiques, des contrôles modernes qui permettent de lancer des attaques sans faire de quart de cercle ou autre manipulation étrange. Sachez que cela ne vient pas défavoriser ceux qui privilégient les boutons classiques, puisque la philosophie Street Fighter n’est pas maltraitée pour autant. On ne peut donc pas matraquer les touches pour espérer sortir des combos impressionnants. Les capacités des personnages ont également été uniformisées, ce qui permet de ne pas être perdu en passant d’un combattant à un autre. Et contrairement à Mortal Kombat 11 qui a tendance à proposer la même approche pour chaque personnage, en les rendant plus ou moins tous polyvalents, ici, malgré cette uniformisation, tous les combattants conservent leurs spécificités. Dhalsim reste un héros qui a tout intérêt à tenir ses adversaires à distance, tandis que Cammy ou Zangief sont, quoiqu’il arrive, des personnages qui favorisent le combat au corps-à-corps.
Street Fighter 6, grâce à son mode World Tour, transforme la philosophie de la série… et put%#! que ça fait du bien. Désormais, la recette Street Fighter ne s’adresse plus uniquement aux fans les plus ardus, mais aussi aux nouveaux venus qui ne veulent pas forcément souffrir sur le mode En Ligne. Toutefois, la proposition World Tour manque de radicalité, de soin, d’ambition, et n’arrive pas à tenir la comparaison face au mode Fighting Ground, qui lui, est des plus parfait.
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