Bizarrement, c’est pour oublier les bas-fonds disgracieux de Gotham Knights que m’est venue l’idée de relancer l’un des jeux qui m’a le plus marqué ces dernières années, j’ai nommé Batman Arkham Knight. Un titre malheureusement mal aimé, ou plutôt qui n’est pas aimé à sa juste valeur, la faute à un lancement quelque peu chaotique sur PC – ce qui lui a valu une suspension de sa mise en vente – et à sa comparaison avec son grand frère adulé par toutes et tous. Pourtant, pour moi, Batman Arkham Knight est bien au-dessus de son prédécesseur : il est même le meilleur opus de la série.
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Message d’alerte : cet article divulgue les grandes lignes de Batman Arkham Knight. Si vous n’avez pas fait ce fabuleux jeu, je vous conseille de fermer cette fenêtre et de revenir plus tard. Si vous êtes déjà allé au bout de l’aventure, je vous souhaite une bonne lecture.
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Dès 2009, avec Arkham Asylum, la licence de Rocksteady réinvente les jeux de super-héros avec son free-flow, un système de combat organique et fluide qui s’inspire d’Assassin’s Creed premier du nom, mais aussi avec ses visuels gothiques à tomber. L’asile d’Arkham, en plus d’être pensé comme une structure labyrinthique possédant d’innombrables couloirs rappelant d’une certaine manière le level-design des premiers Resident Evil, est un régal pour les yeux. Ses infrastructures, gigantesques, sont menaçantes, à l’image de ses occupants passés ou présents. Le tout semble en plus gorgé d’histoire : chaque cellule, chaque lieu, raconte quelque chose qui fait bien souvent référence à des personnages existants de l’univers DC Comics. Puis débarque sa suite en 2011, le fameux Arkham City qui, comme son nom l’indique, prend le pari difficile d’étendre la formule synonyme de succès à une ville tout entière. Et si l’ensemble fonctionne à merveille dans les grandes lignes, d’autant plus que le gameplay a gagné en profondeur, il faut avouer que la cité n’a pas le cachet si particulier et la cohérence frappante de l’asile de son aïeul ; les bâtiments ont bien moins de caractères et l’open-world semble n’être qu’un prétexte pour allonger artificiellement la durée de vie du soft. Pour retrouver la force du premier opus, il a donc fallu patienter jusqu’en 2015, année de sortie de Batman Arkham Knight.
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AU COMMENCEMENT, IL Y A LE CHAOS
Il suffit de quelques secondes pour se rendre compte que Batman Arkham Knight ne souhaite pas seulement être la suite des iconiques Batman Arkham Asylum et Batman Arkham City, mais une œuvre à part entière. Ce nouvel opus vole beaucoup plus haut que ses aînés et il le sait : il change les codes de la série d’entrée de jeu en s’inspirant de ceux du 7e Art. C’est sur une musique jazz que s’ouvre le générique du titre – un générique digne d’un blockbuster hollywoodien. Des engrenages bougent au premier plan, pivotent. Ensuite, de lourdes chaînes grincent, une fleur s’épanouit et de petites flammes surgissent avant de laisser place au Joker. Il est là, face au joueur, allongé, paisible. La caméra est centrée sur son visage fermé, mais souriant : il est mort. Pour autant, et même si l’on connaît l’issue du précédent chapitre, impossible de ne pas être sceptique. Il faut dire que le super-vilain était censé ne plus être de ce monde à la fin d’Asylum avant de revenir en grande pompe dans City. On s’attend donc à ce qu’il ouvre les yeux soudainement, quitte à nous faire sursauter, mais il n’en fait rien. Il reste impassible. C’est d’ailleurs bien le problème. L’image est fixe, rien ne bouge, tandis que la musique jazz inonde encore et toujours les ondes. On se demande alors si le jeu n’a pas bugué – ça craint, surtout si tôt dans l’aventure – et on appuie sur toutes les touches de frustration, et là, quelque chose se produit. Oui, même dans la mort, Le Joker se joue de nous. Tandis que rien n’indiquait qu’il était possible d’interagir, voilà que presser un bouton de la manette fait apparaître une flamme. Appuyer longuement sur ce même bouton en fait surgir une bien plus grande encore, puis plusieurs autres prennent vie, et ce, jusqu’à qu’elles engloutissent totalement Le Joker. On comprend finalement que nous assistons aux funérailles du méchant le plus iconique de Gotham. Avec cette séquence, le jeu nous dit que nous sommes responsables de sa mort. Après tout, c’est nous, joueurs, qui avons activé l’incinérateur. Un détail qui a toute son importance, puisque vous le savez sans doute, à la fin d’Arkham City, Batman se sent coupable de la mort du Joker. C’est d’ailleurs cette idée qui va animer cette aventure des plus sombre.
C’est seulement après une nouvelle séquence étonnante, qui nous propulse en vue subjective dans la peau d’un policier faisant feu dans un diner bondé à cause d’une toxine de L’Épouvantail, et après que la ville a été évacuée, qu’apparaît pour la première fois le Chevalier Noir. Du haut de son perchoir, une gigantesque antenne, il fait face au tout nouveau terrain de jeu – le plus grand jamais créé pour la saga. Les buildings, immenses, s’étendent alors à perte de vue. Et même si l’aventure se déroule une fois de plus à Arkham City, la ville a bien changé depuis sa première entrée dans la production éponyme. Sous une pluie battante, la ville tentaculaire est à l’image d’une carte d’un Grand Theft Auto : cohérente. Elle est composée de ruelles, de grands boulevards et d’une multitude de ponts qui relient les différentes îles entre elles. Les ambitions ont également été revues à la hausse ; il faut dire que l’on a changé de génération de machines entre le lancement d’Arkham City et celui d’Arkham Knight. Cette ambition se ressent avant tout dans l’identité de ce nouveau monde. Le tout arbore alors une direction artistique rétro-futuriste qui fait cohabiter avec brio les années ‘70 et ses néons clinquants avec les visuels gothiques du premier opus et l’idée de métropole du second chapitre. Les gratte-ciels sont ornés de gargouilles qui semblent observer les rues en contrebas, mais aussi de lumières scintillantes et de gigantesques publicités animées qui affichent des designs désuets.
Après avoir fait une petite démonstration de sa démesure, le titre nous laisse enfin goûter aux plaisirs de la voltige qui, depuis Batman Arkham City, a fortement gagné en épaisseur et en impression de vitesse ; la ville étant désormais plus grande, il est tout naturel que les développeurs et les développeuses aient choisi de modifier les déplacements du héros en conséquence ; d’ailleurs, il y a une petite surprise de ce côté-là, puisque la célèbre Batmobile est enfin jouable. De là-haut, tel un rapace cherchant sa prochaine proie, on peut constater l’ampleur des dégâts. La cité, sens dessus dessous, est à la merci du chaos : une idée que n’a pas réussi à retransmettre le timide Gotham Knights, sa suite spirituelle, qui n’a malheureusement pas grand-chose à faire valoir. Ici, les voitures sont retournées sur le toit tandis que les bandits braquent boutiques et banques et enfument des vitrines à coups de cocktails Molotov ; ils se sont réapproprié la ville. Pour renforcer cet aspect, on peut observer la pègre courser en auto les rares patrouilles des forces de l’ordre ou constater l’arrivée d’une milice surarmée, équipée de drones et de tanks en tout genre. Vous l’avez compris, malgré l’absence de civils, le monde de Batman Arkham Knight fourmille de détails. Cette pluie d’informations constantes contribue à rendre l’œuvre étouffante, voire anxiogène. Une impression aussi bien partagée par le joueur que par l’homme chauve-souris qui, pour la première fois, se sent dépassé par les événements.
Pour accentuer ce ressenti, le jeu multiplie le nombre de super-vilains – L’Épouvantail, Double-Face, Harley Quinn… tous se sont donné rendez-vous – et met en place un sentiment d’urgence. Batman vit actuellement ses dernières heures et il le sait. Pour rappeler quelque peu les faits, avant de mourir, Le Joker a contaminé de son sang malade une poignée d’habitants de la ville d’Arkham City, dont notre cher Batou ; c’est pourquoi toute l’histoire se déroule sur une seule et même unité de temps, soit pendant la nuit du 31 octobre au 1er novembre, référence aux comics The Long Halloween de Jeph Loeb. Malheureusement pour Batman, cette nuit est interminable. Elle se produit sous nos yeux au ralenti grâce à l’agencement d’un – ou plutôt de plusieurs – gigantesque plan-séquence sans temps mort ni chargement qui ne nous épargne rien de l’aventure. On suit le super-héros à la trace du début à la fin. On le voit communiquer avec Alfred et d’autres de ses acolytes, traverser la ville d’un point A à un point B au volant de sa Batmobile, changer de tenue et même améliorer ses gadgets.
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LA FOLIE : UNE QUESTION DE POINTS DE VUE
L’Épouvantail est présenté comme l’ennemi juré de ce nouvel opus, mais rapidement, le super-vilain qui terrorise tout Gotham se fait voler la vedette par Le Joker. Bien qu’il soit mort, le méchant le plus célèbre de chez DC Comics n’a jamais été aussi présent que dans cette aventure. Désormais, il habite l’esprit de notre cher super-héros, qui n’est plus que le reflet de cette ville qu’il tient tend à protéger ; si l’on pousse le curseur un peu plus loin, on peut même dire qu’il est un antagoniste à part entière. Rongé par la culpabilité depuis la mort de son ennemi favori, Batman doute. Ces doutes prennent la forme de visions, comme une sorte de schizophrénie avancée, où Le Joker se tient à ses côtés. C’est là l’une des plus grandes prouesses de ce troisième chapitre de la série Batman Arkham : Le Joker peut apparaître à tout moment, au détour d’un couloir, dans un ascenseur ou assis tout un haut d’un building. Quand il ne vient pas terroriser Batman en surgissant soudainement ou quand il ne le provoque pas avec quelques plaisanteries mal placées, Le Joker – qui n’est rien d’autre que la pensée de Batman – questionne les agissements du super-héros. Il vient contester son sens du mot « justice », jusqu’à ce qu’il comprenne enfin qu’il agit comme les malfrats qu’il pourchasse. Tout comme eux, il vole au-dessus des lois et tout comme eux, il est une figure qui instille la peur – une dimension qui vient jusqu’à épouser la forme de notre personnage qui ressemble de plus en plus à un prédateur nocturne. Dans les airs, son ombre est menaçante, et à bord de sa Batmobile, il n’est plus qu’un tank qui ne laisse aucune chance à ses adversaires. Il semble tout simplement intouchable.
Si les deux premiers Batman Arkham sont avant tout des jeux d’action-aventure, mettant en scène la puissance du héros grâce à de nombreuses séquences d’affrontements au corps-à-corps et d’infiltration, dans cet épisode, la Batmobile occupe énormément de place. C’est elle que l’on utilise lors des combats de boss, c’est elle qui sert à résoudre la plupart des énigmes et c’est elle que l’on contrôle pour nous sortir d’une situation délicate. Autrement dit, c’est elle que l’on voit le plus souvent à l’écran lorsque l’on joue à cet opus. Bien évidemment, la très forte présence de la Batmobile n’est pas le fruit du hasard. Elle permet de déconstruire la vision que l’on a de l’homme chauve-souris en soulignant sa fragilité, mais aussi, paradoxalement, de le déshumaniser. Plus que jamais, Batman se sent vulnérable, comme un être humain parmi tant d’autres, il a donc besoin de se cacher, de se forger une carapace dénuée de sentiments. Contrairement à Batman Arkham City qui proposait toute une séquence jouable où l’on incarnait directement Bruce Wayne, l’homme derrière le masque, dans cet opus, le super-héros est toujours équipé de son armure qui a d’ailleurs gagné en solidité ; des plaques de kevlar et des épaulettes ont notamment été ajoutées. Malgré tout, il a besoin davantage d’équipements pour agir et se sentir plus fort. C’est là qu’entre en scène la Batmobile, un véhicule pensé comme une extension du héros. À l’intérieur de celle-ci, il se sent en sécurité. C’est d’ailleurs pour cette raison que Le Joker ne fait jamais d’apparition furtive lorsque Batman est au volant. La Batmobile le protège contre toutes les menaces extérieures, mais aussi contre le mal qui l’habite.
Comme nous l’avons vu plus tôt et pour mieux nous préparer pour la suite, Batman Arkham Knight multiplie dès le début les points de vue. D’abord, le titre brise le quatrième mur en impliquant directement le joueur, qui met fin au règne du Joker. Puis, on évolue en vue subjective dans les bottes d’un policier. C’est seulement après toutes ces séquences que l’on a le droit de contrôler Batman qui, à ce moment-là, agit avec autant d’assurance que dans les précédents opus. Mais lorsqu’il perd son premier combat contre le Chevalier d’Arkham, un tout nouvel ennemi, il se rend compte de sa fragilité. À la suite de cet incident, l’homme chauve-souris laisse sa place au commissaire Jim Gordon le temps d’une courte phase de jeu ; cette dernière est le pivot de l’aventure. C’est au travers des yeux du policier que l’on constate pour la première fois la folie grandissante du héros ; Batman a enfermé sans alerter les autorités plusieurs personnalités infectées par le sang du Joker afin de réaliser des expériences. Comme pour souligner le fait que Jim Gordon se mêle de ce qui ne le regarde pas, Batman nous surprend, nous effraie même, avant que l’on puisse de nouveau le contrôler. Cette folie va prendre de plus en plus de place au fil de l’histoire jusqu’à atteindre son paroxysme dans les toutes dernières minutes de l’aventure.
Dans l’ultime affrontement qui oppose Batman à L’Épouvantail, ce dernier a, pendant un temps, l’avantage sur notre héros. Il en profite pour lui retirer son masque – autrement dit, pour exposer la fragilité du personnage aux yeux du monde – puis pour lui injecter une bonne dose de son poison. C’est à cet instant précis que l’homme chauve-souris cède définitivement à l’appel de la folie. Désormais, il n’est plus cet être qui vient en aide aux habitants, mais bien Le Joker, son double maléfique. Attaché à un brancard, il fait face à toute la pègre. Ils sont tous là, devant lui, à le narguer. Toutefois, après un tour de passe-passe dont il a le secret, voilà qu’il se retrouve à nouveau dans sa Batmobile, machine qu’il utilise pour tuer tous les malfrats qui lui ont pourri la vie. On prend ensuite possession du Joker, en vue à la troisième personne, pour exterminer Le Pingouin et Double-Face – ainsi qu’une otage qui passait par là – à coups de fusil à pompe. Les habitants de Gotham City ne sont finalement, pour Batman, que des obstacles qui l’empêchent de parvenir à ses fins : faire régner sa propre justice pour se venger du meurtre de ses parents. La suite de l’aventure propose de prendre le point de vue interne du Joker ; nous sommes donc en vue subjective. Cela permet de ne faire plus qu’un avec la psyché du personnage qui est de plus en plus violent, mais aussi de plus en plus perdu. Pendant qu’il déambule dans des couloirs, arme au poing, plusieurs statues de pierre en forme de Batman viennent le surprendre, et ce, jusqu’à ce que Batman en personne apparaisse enfin dans son champ de vision. À ce moment précis, le joueur contrôle Batman du point de vue du Joker afin que le héros puisse mettre une rouste à son « moi » maléfique.
Dans cette séquence mémorable qui multiplie les points de vue, à la troisième, deuxième et première personne, le jeu s’enfonce progressivement dans l’esprit de Batman qui n’a plus le contrôle de ses actes. Le super-héros, qui n’est désormais plus qu’un super-vilain, commet l’irréparable, mais rejette la faute sur sa Batmobile qui franchit le pas à sa place, puis sur Le Joker, un personnage sans foi ni loi, afin de se débarrasser de toute culpabilité. Finalement, ce n’est pas lui qui réalise ces actes, mais une machine à tuer ainsi que son pire ennemi. Néanmoins, la séquence fait le choix d’intérioriser le point de vue au fur et à mesure que Batman reprend le dessus. Combattre Le Joker une nouvelle fois lui fait recouvrer ses esprits – et nous la vue à la troisième personne –, une occasion pour le héros de réduire une bonne fois pour toutes les plans machiavéliques de L’Épouvantail. On comprend alors que rien de tout cela ne s’est réellement passé, mais que Batman a, au fond de lui, envie de faire régner sa propre justice comme le fait l’ensemble de ses adversaires qu’il traque sans relâche.
Tous les jeux de la saga Batman Arkham sont excellents, Batman Arkham Knight est encore au-dessus : c’est un chef-d’œuvre ! Dès son introduction, il déjoue les attentes : il n’est plus ce jeu d’action-aventure mettant en scène un Batman sûr de lui, mais un titre étonnant qui place la Batmobile et la fragilité du héros au premier plan. Si cette production propose une formule nouvelle et marquante, elle le doit à son écriture fabuleuse qui ose enfin dévoiler le vrai visage de l’homme masqué.
Parce que t’as des goûts de merde
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Pour mon tout premier commentaire sur le site, ça fait vraiment plaisir.
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