GTA, l’évolution de la dimension politique à travers les âges

Pratiquement 100 millions de vues en 24 heures, des fanatiques criant au génie dans la foulée, d’autres au plus beau jeu du monde : cela ne fait aucun doute, le nouveau Grand Theft Auto a été annoncé. Et quelle annonce ! Comme toujours avec Rockstar Games, cette dernière suscite la polémique, ou plutôt le débat. Il faut dire que le premier trailer est un condensé de ce que l’internet d’aujourd’hui peut faire de pire : femmes-objets, violence acerbe et nivellement par le bas… Quand certains s’avancent quant aux intentions de ce GTA VI en faisant appel au passé, et donc en s’appuyant sur l’argument de la satire – raison d’être des GTA depuis de nombreuses années –, quelques rares joueurs et joueuses jugent la pièce comme telle, ce qui est évidemment bien plus sage. Ce que nous avons vu, ce n’est pas GTA VI, mais seulement son annonce. Et malgré elle, elle diffuse son propre message.

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GTA, l’évolution de la dimension politique à travers les âges (version vidéo)

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Pour être tout à fait honnête, je ne voulais pas succomber aux sirènes. Je n’avais aucune envie d’écrire un long pamphlet sur GTA VI avant son lancement qui, pour rappel, n’arrivera pas de sitôt. Mais ces dernières semaines, animées par des arguments sans queue ni tête, m’ont poussé à ressortir la plume après quelques mois de grève. D’une certaine façon, ça tombe bien, car je souhaite faire de 2024 l’année de PADologie. Et quoi de mieux que Grand Theft Auto, une saga qui me passionne et à qui j’ai déjà dédié beaucoup d’encre, pour relancer la machine ? Mais revenons au sujet qui nous intéresse : lundi 4 décembre 2023, après une malheureuse fuite, Rockstar Games est contraint de diffuser le tout premier trailer de son Grand Theft Auto VI, soit le jeu le plus attendu de cette décennie ; il n’y a qu’à voir le nombre d’ahuris qui disent détenir des informations sur le prochain GTA, et le nombre d’incrédules qui tombent dans le panneau pour s’en rendre compte. Ces premières images nous font faire la rencontre de Lucia, personnage principal de ce nouvel opus et par la même occasion, première héroïne de la saga – et non, GTA premier du nom, dont le personnage est sans identité, ne compte pas. Elle est soutenue par son compagnon de crimes, Jason, que l’on imagine – vu les nombreux leaks de l’année dernière – également jouable. Mais entre un petit séjour en prison de la jeune femme et quelques braquages à main armée, la bande-annonce présente la « nouvelle » destination, Vice City, et en profite pour mettre en lumière ses habitants. C’est là que ça se corse ! Vice City, gigantesque métropole qui reprend les traits de Miami, est comme son nom l’indique, le lieu de tous les vices. Sauf qu’avec GTA VI, on ne fait plus face au Vice City des années ’80 que s’amusait à dépeindre le jeu éponyme sorti en 2002, mais bien à celle de 2025, date de sortie du soft et année au cours de laquelle se déroulera l’histoire du jeu. Ici, le slogan « alcool, sexe, drogue » est décuplé jusqu’à l’overdose.

GTA 6 trailer (2)

En moins de 90 secondes, on peut apercevoir deux jeunes femmes twerker dans de petites tenues – la première dans un club, la seconde sur le toit d’une voiture filant à toute vitesse –, mais aussi beaucoup d’autres en bikini, ou encore du rodéo urbain, des courses de rues, des vidéos TikTok dégradantes, des personnes âgées nues comme des vers, d’autres qui agressent les gens avec des marteaux et des soirées alcoolisées… vraiment beaucoup de soirées alcoolisées. Cette accumulation de séquences, pour la plupart inspirées de vidéos virales réelles, donne l’impression que ce GTA VI tombe dans la facilité, qu’il s’amuse à faire dans la vulgarité pour, comme en ’97, s’attirer les foudres de nombreuses personnes offusquées, et ainsi se faire de la publicité gratuite. Au vu de la popularité actuelle de la licence, on peut juger de la pertinence d’un tel procédé tout en s’interrogeant sur la nécessité de réitérer aujourd’hui l’opération. Mais revenons quelque peu en arrière.

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GTA PREMIER DU NOM, DÉJÀ UN JEU POLITIQUE

2539-1Les choix artistiques ou d’écriture de la saga GTA à travers les années sont loin d’être inattaquables ; on se souvient encore de la séance de torture dans GTA V qui n’avait aucun autre intérêt que la fascination pour le morbide. Mais contrairement aux idées reçues, quand GTA premier du nom, un jeu en vue du dessus, sort en 1997, sa violence n’est pas gratuite. Elle est politique. À l’image des années ’60 animées au cinéma par la Nouvelle Vague, mouvement qui a pour objectif de marquer une rupture avec les codes esthétiques passés, les années ’90 viennent jouer un rôle majeur dans l’histoire du jeu vidéo. Les premiers Mortal Kombat, DOOM et Wolfenstein, par la représentation frontale de la violence, brisent l’image même du médium. Grand Theft Auto premier du nom s’inscrit dans cette mouvance qui révolutionnent les codes et les usages du monde vidéoludique. Désormais, le jeu vidéo n’est plus uniquement un loisir pour les enfants (masculins) de 6 à 15 ans, mais s’adresse également aux adultes.

La soudaine représentation de l’ultraviolence sur nos écrans s’apparente, d’une certaine manière, à la crise d’adolescence du monde vidéoludique. D’un coup, le médium veut choquer, se faire entendre, montrer qu’il est plus que ce qu’il semblait être. Dans l’exécution, cela manque grandement de finesse : Ed Boon et John Tobias, les créateurs de Mortal Kombat, optent avant tout pour la violence parce qu’ils n’ont pas trouvé d’autres moyens pour rivaliser avec la pointure Street Fighter II. Neil Barnden et Patrick Buckland, de leur côté, prétexte le fun, ici synonyme de violence, pour cacher la médiocrité du gameplay de Carmageddon. L’argument est réutilisé beaucoup plus tard par un certain Saints Row : The Third, qui décidément, n’arrive pas à faire le poids face à GTA IV. Je peux également faire référence au jeu annulé – à raison – Thrill Kill que j’ai « malheureusement » eu entre les mains dès mon plus jeune âge. Comme tous ces jeux, GTA premier du nom, qui propose des activités où le but est de tuer tout ce qui bouge pour marquer des points, ne fait pas dans la subtilité. Mais c’est ce mauvais goût, cette idée de faire de nos consoles un outil de transgression, qui a malgré tout été nécessaire pour nous éloigner d’un certain hérisson bleu ou encore d’un plombier moustachu qui saute de champignon en champignon. C’est aussi cette apologie de la violence qui a permis d’arriver là où nous en sommes aujourd’hui. Si l’on ne peut pas dire que GTA premier du nom est un jeu mature, loin de là même – il a tout de l’enfant terrible qui fait n’importe quoi pour se faire remarquer –, il a, tout comme les autres productions susnommées, contribué à ce que les jeux d’aujourd’hui le soient.

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UNE PLUME À RETARDEMENT

CLAUDE SPEEDSi beaucoup pensent que la saga GTA a pour premier atout l’écriture, sachez qu’ils sont loin de la vérité. L’écriture a même longuement été secondaire dans le processus créatif des jeux GTA. Pour preuve, cette photographie largement diffusée qui appose le script de GTA III à celui de GTA IV : le premier ne comporte que quelques feuillets, tandis que le second compte un bon millier de pages. GTA III, avant d’être une révolution, n’est qu’une simple transposition en trois dimensions de GTA 2, et ce dernier affine simplement la formule du premier opus. GTA, GTA 2 et GTA III partagent donc la même visée politique : transgresser les règles et les mœurs du jeu vidéo. GTA III ne va pas plus loin, il n’a pas encore la culture de la dérision qu’auront les opus suivants et étonnamment, on peut même lui reprocher d’être affreusement terre-à-terre ; son histoire est simplement un prétexte pour rendre hommage à un maximum de films noirs. Mais est-ce un mal ? Évidemment que non ! Avant la sortie du troisième opus en 2001, la licence, boudée par la presse, n’a pas la notoriété qu’on lui connait et le jeu vidéo n’a pas encore l’image d’un loisir pour adulte. Mais d’un coup, les choses changent : GTA reçoit beaucoup d’attention. Avec l’arrivée de la troisième dimension, la violence prend une tout autre tournure : elle choque enfin ! Dans la cour de l’école, lors des repas de famille, au boulot et même au parlement et à la télévision, tout le monde parle du phénomène GTA, un jeu qui permet de faire tout et n’importe quoi, comme voler des véhicules, tuer pour le plaisir, et tirer sur la police. Autrement dit, mission accomplie pour Rockstar Games.

Malheureusement, l’aspect satirique de la licence reste encore bien timide avec Vice City. Cet opus sorti en 2002 fait le choix de rester sur les acquis de son aïeul lancé un an plus tôt. S’il met quelques sujets sensibles sur le tapis, il le fait maladroitement : le jeu est notamment accusé de racisme envers le peuple haïtien – jusqu’à pousser les développeurs à revoir leur copie pour le lancement de la version Xbox. Mais là où l’absence de dérision ou de discours politique peut s’entendre pour GTA III, étant donné que son objectif était de bousculer les codes vidéoludiques, difficile de pardonner à Vice City de ne pas chercher à faire plus que son grand frère. Le titre n’a pas grand-chose à raconter ni à offrir, si ce n’est son incroyable playlist ou ses nombreuses références au cinéma américain, et plus particulièrement à celui de De Palma : Scarface et L’Impasse, pour ne citer qu’eux. De ce fait, Vice City, au début pensé comme une extension de GTA III, est finalement l’opus le plus dispensable de la franchise.

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Un mot sur la censure : Au fil des années, la censure a presque toujours frappé la saga Grand Theft Auto. Les copies françaises de GTA 2 ou de Vice City ne comportent par exemple aucune effusion de sang. La version anglaise de ce dernier supprime également la possibilité de coucher avec des prostituées, alors même qu’il est impossible de voir les personnages s’adonner à des parties de jambes en l’air. Récemment encore, Rockstar Games a intentionnellement supprimé des pans entiers des dialogues de GTA III, Vice City et San Andreas à l’occasion du lancement de GTA Trilogy – The Definitive Edition pour ne pas heurter les sensibilités contemporaines. GTA V a subi le même sort. Opérer volontairement de tels changements post lancement, c’est aller à l’encontre même des intentions premières des différentes productions, ce qui donne l’impression que la firme elle-même ne comprend pas ce qu’elle mijote depuis tant d’années. Qu’elles soient maladroites ou non, les créations de Rockstar Games sont avant tout des productions politiques et/ou des critiques sociales qui tentent de retranscrire la mentalité d’une certaine Amérique à un instant T. Modifier en cours de route leurs idéologies – bonnes ou mauvaises –, c’est les empêcher de conserver leur vision et de refléter, par la même occasion, le contexte dans lequel ils ont été créés. Ce qu’il y a de plus énervant encore, c’est que cette censure est sélective. Avec GTA Trilogy – The Definitive Edition, certaines blagues homophobes ou racistes disparaissent ; toutefois, il est navrant de constater que les remarques misogynes et sexistes gratuites – pourtant en nombre dans un certain San Andreas – sont encore présentes. La manière même dont cette censure a été réalisée est le fruit d’une certaine conception de l’humour : les femmes ont encore bien du chemin à faire pour être respectées.

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L’ÉCRITURE AU SERVICE D’UN PROPOS POLITIQUE

FRANKEn choisissant en 2004 comme personnage principal un Afro-Américain, CJ pour Carl Johnson, Rockstar Games fait déjà de San Andreas une œuvre politique. Il faut dire qu’à l’époque, les titres mettant en scène des héros ou héroïnes racisés se font extrêmement rares, surtout si l’on retire de l’équation les quelques productions rendant hommage aux stars de la pop-culture, comme Shaq Fu (1994), un beat’em up qui propose d’incarner Shaquille O’Neal, ou encore Michael Jackson’s Moonwalker (1990), un jeu qui porte bien son nom. De tête, seul Global Gladiators (1992), un jeu signé McDonald fait figure d’exception. Carl Johnson, ce n’est donc pas simplement un personnage marquant de plus dans notre imaginaire, c’est un porte-parole ; il inspirera d’ailleurs de nombreux jeux qui n’ont malheureusement pas su se défaire de l’image du gangster (Crime Life, Gettin’ Up ou True Crime : New York City). Comme rarement dans le jeu vidéo, grâce à CJ, GTA San Andreas aborde en effet un sujet sérieux et actuel : les violences policières.

Si GTA III se déroule en 2001 et Vice City en 1986, des dates plus ou moins anodines – surtout que le premier esquive volontairement le drame du 11 septembre –, San Andreas se déroule quant à lui en 1992. Le bébé de Rockstar Games prend pour toile de fond l’affaire Rodney King, un homme d’origine afro-américain qui subit une arrestation pour le moins musclée ; l’homme reçoit plus d’une cinquantaine de coups de la part des policiers. Dans San Andreas, Carl Johnson est un peu l’alter ego de Rodney King. Le jeu s’ouvre d’ailleurs sur CJ, tout juste revenu au pays pour les obsèques de sa mère. À peine est-il sorti de l’aéroport qu’il se fait malmener par Frank Tenpenny, un agent de police qui incarne ni plus ni moins l’antagoniste principal. Il accuse notre personnage de posséder des armes, et lui vole même son argent, avant de le jeter au beau milieu d’un quartier chaud, le quartier des Ballas. Pour accentuer cette dénonciation, San Andreas est bien moins fantasque que ses prédécesseurs. Il ne se contente pas de nous mettre dans les baskets d’un brigand en devenir qui n’a pas grand-chose à raconter, comme peuvent l’être Claude Speed (GTA III) et Tommy Vercetti (Vice City) : CJ a en effet une histoire. Il est un gamin des rues qui est tiraillé entre l’envie de réussir, et donc d’échapper à sa condition en s’éloignant du quartier, comme peut le faire Rabbit dans 8 Mile, et celui de faire honneur à sa famille. Il veut notamment rendre fier son grand frère qu’il admire alors même qu’il souhaite tout faire pour ne pas lui ressembler. Son frère est l’un des membres fondateurs des Grove Street, un gang réputé des quartiers pauvres de Los Santos. Pour pousser CJ à œuvrer pour le gang, il le fait régulièrement culpabiliser d’être parti vivre à l’autre bout des États-Unis. Autrement dit, contrairement aux précédents protagonistes jouables, vivre une vie de criminel n’est pas véritablement un choix, mais lui est imposé.

NIKOCe qui est intéressant avec San Andreas, c’est que le jeu tente de s’éloigner des stéréotypes en instaurant une dimension role-play – encore jamais vu dans la série – pour nous immiscer complètement dans la peau de notre anti-héros. Les activités annexes, comme le fait de pouvoir faire du BMX, boire un verre au bar du coin, travailler sa silhouette en allant à la salle de sport ou encore se manger quelques burgers, sont autant de propositions pour nous plonger dans la routine finalement « ordinaire » de ce jeune homme : autrement dit, les guerres de gangs ne définissent pas CJ, bien au contraire. Cette idée de nous conter le quotidien de notre personnage est réitérée en 2008 avec l’arrivée de GTA IV. Cet opus – qui est pour moi le meilleur, et par la même occasion, le plus profond – nous propose de suivre un certain Niko Bellic, un immigré venu tout droit de l’Europe de l’Est qui a connu la guerre dès son plus jeune âge. Les premières missions de ce GTA IV nous plongent dans son nouveau travail : il est chauffeur de taxi pour le compte de son cousin. Son cousin, Roman, est par ailleurs son meilleur ami. Tous les deux sortent régulièrement ensemble pour aller au cinéma, faire une partie de bowling, manger un bout ou boire des verres jusqu’à plus soif. Les ressemblances entre CJ et Niko Bellic ne s’arrêtent bien évidemment pas là. Quand Niko Bellic débarque par bateau à Liberty City, ville fictive qui reprend les traits de la ville de New York, il ne souhaite aucunement vivre de la criminalité : il veut connaître le rêve américain en suivant une voie traditionnelle, métro, boulot, dodo. Il voit en Liberty City l’occasion de repartir sur de bons rails. Malheureusement, ses convictions nouvelles trouvent vite leurs limites – sûrement un peu trop, ce qui amoindrit le propos –, quand son passé le rattrape et qu’il apprend que Roman a des soucis avec la mafia locale. Tout comme CJ donc, c’est la pression extérieure qui le pousse à (re)prendre les armes alors qu’il souhaitait en premier lieu vivre une vie saine et rangée.

En nous proposant de déambuler dans un New York plus vrai que nature, gigantesque, et en mettant en tête d’affiche un immigré complètement perdu, décidément trop petit pour cette ville, GTA IV s’empare pleinement de l’American Way of Life pour mieux la dénoncer. Niko Bellic a des rêves plein la tête, mais à l’image de Travis Bickle dans Taxi Driver, ces rêves restent à l’état d’embryon. Si Tommy Vercetti, Claude Speed et CJ connaissent une ascension financière jusqu’à devenir les parrains du crime, ce qui en fait des anti-Scarface par excellence, Niko Bellic, lui, fait du surplace. Qu’il choisisse la voie de l’honnête citoyen ou celle du crime, le protagoniste n’arrive jamais à trouver de solution à son problème : l’Amérique, la « terre des opportunités » comme il aime l’appeler, ne lui ouvre jamais les bras. Autrement dit, le Rêve Américain n’est qu’une chimère et le restera. C’est d’ailleurs lorsque l’on fait ce constat que l’on comprend qu’il y a eu tout un cheminement dans la tête de Rockstar Games entre GTA premier du nom et GTA IV. Si l’on n’est pas à l’abri de décisions maladroites d’un épisode à l’autre – San Andreas glorifie les guerres de gangs et GTA IV s’adonne régulièrement à des tueries de masses dans les quêtes principales – désormais, pour Rockstar, la violence n’est plus une fin en soi, mais est un outil pour raconter une histoire et dénoncer une certaine Amérique.

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LA SATIRE PAR EXCELLENCE ?

On nous rabâche sans cesse que la licence Grand Theft Auto est avant tout une satire de l’Amérique, mais celle-ci ne se manifeste vraiment que lorsque Rockstar prend le temps d’enrichir ses jeux d’une histoire. Je dirais même que cette dimension satirique a attendu le dernier épisode en date pour s’affirmer. Pour moi, GTA V est l’épisode le plus drôle, le plus cynique : il tourne sans cesse en dérision les États-Unis. Le jeu, par ses mécaniques grandiloquentes et son scénario, s’en prend véritablement à tout ce qui bouge : les réseaux sociaux, les start-up, les multinationales, la bourse, les geeks, les stars de la télé, la vie bien rangée, et j’en passe forcément. C’est d’ailleurs bien le problème : en s’attaquant à tout et tout le temps, il enfonce des portes ouvertes et reste en surface de ses sujets ainsi que de ses personnages, qui se contentent de remplir chacun une fonction.

GTA V

GTA V propose trois personnages jouables : Franklin, Michael et Trevor. Franklin est certainement le personnage le moins intéressant de cet opus. Il est l’avatar, celui qui se doit d’être lisse pour que l’on puisse s’identifier à lui. Il incarne le ou la débutant·e, autrement dit, la personne qui découvre la série avec cet opus. Franklin est aussi la version remise au goût du jour de CJ afin de faire plaisir aux nostalgiques, étant donné que le très apprécié San Andreas se déroule dans la même ville que GTA V. Franklin est donc conforme aux attentes. Michael, surendetté, mélancolique, désabusé, est un pastiche de Robert De Niro dans Heat : il incarne les conséquences néfastes du capitalisme. Malgré sa belle baraque et sa vie de famille – avec laquelle on peut passer du temps –, il est malheureux, dépressif. Sur le papier, le personnage est génialissime, mais le récit échoue à exploiter son potentiel politique étant donné que le personnage peut triompher par le crime. En effet, la production laisse la possibilité aux joueurs et aux joueuses de choisir parmi trois fins différentes, dont une heureuse conduisant Michael au succès. Trevor, lui, se joue du statut d’« enfant terrible » de la licence. Il incarne tout simplement les interdits, ce que GTA a longuement représenté aux yeux du monde avant qu’il devienne une des franchises les plus rentables de tous les temps. Le personnage, beauf au possible, a un humour douteux, bien évidemment polémique ; il ne sait pas vivre en communauté et surtout, il est extrêmement violent. Il tue Johnny Klebitz, personnage principal de The Lost and Damned, une extension de GTA IV, et perpètre des massacres dans les rues. Vous vous rappelez du mini-jeu qui consiste à tuer tout ce qui bouge pour marquer des points et que je considérais comme peu subtil en introduction ? Eh bien, il est de retour. Avec GTA V, la saga Grand Theft Auto n’a plus peur d’être GTA, quitte à devenir sa propre caricature. C’est peut-être ainsi que l’on aperçoit les limites de la recette Grand Theft Auto. Et si GTA avait déjà fait le tour de ses sujets ? C’est malheureusement le constat que l’on peut faire en s’attardant sur le trailer d’annonce de GTA VI.

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GTA VI, UN JEU DÉJÀ DÉPASSÉ ?

vlcsnap-2024-01-02-14h36m19s206GTA VI semble employer le même ton déluré que son prédécesseur. La bande-annonce, sur fond de misogynie et d’hyper-sexualisation, tire à boulets rouges sur les « petits » travers de notre société, au lieu de s’attaquer à un vrai sujet comme peuvent le faire San Andreas et GTA IV. La proximité entre les deux jeux s’affirme par les visuels. En dépit d’améliorations techniques évidentes, il est difficile, je trouve, de faire la différence entre la Californie de GTA V et la Floride de GTA VI. Les deux contrées se ressemblent comme deux gouttes d’eau, la faute à une colorimétrie semblable entre les deux jeux ; on est loin de l’aspect chaud et poussiéreux de San Andreas et de la monotonie réaliste de GTA IV. Et ce qui est drôle, c’est qu’au vu de ce qui est représenté à l’écran, j’ai l’impression que ce GTA VI sera bien moins intemporel que ses prédécesseurs. Est-ce que s’attaquer à TikTok et compagnie aura encore un sens dans dix ou quinze ans, ou même au moment du lancement du jeu qui, pour rappel, est attendu pour 2025 ? Les vidéos virales parodiées, ou plutôt représentées – difficile de parler de parodie quand on réalise une simple reprise – parlent d’elles-mêmes : certaines étaient à la mode il y a déjà plusieurs années. Un sentiment d’ores et déjà partagé par Dan Houser qui, en 2018, à l’occasion du lancement de Red Dead Redemption II, a déclaré qu’il serait difficile de sortir GTA VI à une époque où tout évolue très rapidement. Pour la petite anecdote, le cofondateur de Rockstar Games a depuis quitté la société pour créer son propre studio. Est-ce un renoncement de sa part ?

En fait, la saga semble se reposer sur ses lauriers. En même temps, comment peut-il en être autrement étant donné que GTA V est le jeu le plus vendu – ou presque – de l’histoire du jeu vidéo ? Prendre des risques, se détourner de l’aspect fun mis en place par GTA V pour revenir à des thèmes plus sérieux pourrait être contre-productif pour GTA VI. Les fans s’étaient d’ailleurs déjà sentis trahis quand ils étaient passés de San Andreas, qui autorise les comportements les plus invraisemblables, à GTA IV, bien plus réaliste sur tout ce qu’il entreprend. La présence de Lucia vient cependant contrebalancer ma déception face à cette première présentation qui, je trouve, justifie maladroitement sa beauferie par la satire – l’humour ne peut pas être un passe-droit pour dire tout et n’importe quoi. Lucia représente d’une certaine façon l’espoir. Mais même là, j’ai le constat un peu amer : si Rockstar était en avance sur la concurrence quand il nous proposait d’incarner un Afro-Américain en 2004, aujourd’hui, jouer un personnage féminin n’a rien de révolutionnaire. Lara Croft est passée par là, tout comme Max de Life is Strange, Jade de Beyond Good & Evil, Aloy de Horizon : Zero Dawn ou encore Ellie de la saga The Last of Us – des personnages marquants, parce que forts et non manichéens. Difficile alors de se dire que Lucia sera une héroïne aussi politique que l’a été CJ étant donné qu’elle a déjà un wagon de retard. Il ne reste plus qu’à attendre de voir son traitement manette en mains. Et de ce côté-là, quand je regarde ce que Rockstar a réalisé dernièrement avec Sadie Adler, je peux dire que j’ai confiance.

4 commentaires sur “GTA, l’évolution de la dimension politique à travers les âges

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  1. Pour rebondir sur la conclusion, il est vrai,que les héroïnes du jeu vidéo sont nombreuses aujourd’hui. Et pourtant, on trouve toujours deux extrêmes sur Twitter, entre ceux qui dénigrent un jeu ou un personnage juste à cause de son genre féminin, et celles et ceux qui restent persuadés que la gente féminine n’est pas encore assez représentée dans les jeux vidéo. Sache que je n’ai jamais touché sérieusement à GTA de ma vie, mais le dossier démontre ta maîtrise de la franchise et est très intéressant, à lire. Bravo pour ce travail.

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    1. Déjà, merci beaucoup pour ton retour ! Et pour revenir sur la conclusion, évidemment qu’il faut plus de personnages féminins dans le jeu vidéo ; s’il y a toujours des gens offusqués par la simple présence d’une héroïne, c’est qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. D’ailleurs, je suis vraiment content qu’une saga ultra-populaire comme GTA aille dans ce sens. Juste que je constate que Rockstar n’est plus le studio précurseur d’autrefois, et donc, que les prises de positions politiques sont moins marquantes/importantes qu’à une époque. Peut-être que je me trompe, cela dit, et que l’on se souviendra de Lucia comme un personnage révolutionnaire. Je l’espère même.

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      1. PS : Si je peux te conseiller un épisode, c’est bien évidemment le IV. C’est peut-être celui qui s’éloigne le plus de la formule GTA pour se concentrer pleinement sur son récit. Il faut juste ne pas être allergique aux propos misogynes. Je l’ai relancé il y a peu (pour ce papier justement), et les premières minutes sont juste horribles ^^ On va dire que ça participe à rendre les personnages antipathiques.

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