Concord – Un drame peut en cacher un autre

« Je suis extrêmement fier du jeu et nous sommes prêts à le soutenir pendant des années », annonce plein d’entrain Jon Weisnewski, character-designer, à l’occasion du lancement de Concord, la dernière « grosse » cartouche PlayStation Studios. Un sentiment d’euphorie malheureusement éphémère… 

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CRASH HISTORIQUE

2fbd1271e71bb9239d24a81a36d848ec« Bien que de nombreuses qualités de l’expérience aient trouvé un écho auprès des joueurs, nous reconnaissons également que d’autres aspects du jeu et de notre lancement initial n’ont pas abouti comme nous l’avions prévu. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre le jeu hors-ligne à partir du 6 septembre 2024 ». 14 jours séparent la sortie commerciale de Concord de sa fermeture : un record de non-longévité qui peut certainement créer un énorme précédent dans l’histoire de l’industrie vidéoludique. Et pourtant, beaucoup considèrent cet événement comme un simple aveu d’échec, une réponse lucide à un non-succès. C’est vrai qu’entretenir des serveurs coûte de l’argent, alors à quoi bon persister quand un titre fraîchement débarqué ne trouve pas son public ?

Sur Steam, Concord n’a jamais réussi à réunir plus de 700 personnes simultanément. Sur PS5, les ventes ne semblent pas être mirobolantes non plus, puisque selon l’analyste habitué des chiffres Simon Carless, la production se serait seulement écoulée à un total de 25.000 unités à travers le monde et sur l’ensemble des plateformes. Des résultats très décevants, étant donné que Weisnewski vante le fait que Concord a bénéficié de plus de huit années de développement, ce qui correspond peu ou prou à ce qu’a disposé Red Dead Redemption II pour voir le jour. Au programme des absurdités, l’entièreté de la presse fait état d’un budget avoisinant les 200 millions de dollars des données non-officiels et à prendre à la légère. À titre de comparaison, ce budget équivaut à celui de GTA V (marketing compris), l’un des dix jeux les plus coûteux de l’histoire du médium. 

Avec l’annulation de la sortie de Concord, Sony arrive également à avoir le bon rôle, puisqu’il propose par la même occasion de rembourser toutes celles et ceux qui ont craqué pour cet Overwatch-like lors de son lancement. Une initiative évidemment saluée, puisqu’aucune bourse des joueurs et des joueuses n’a été impactée le drame semble ne toucher que l’entreprise japonaise. Plus insidieux, cette annonce d’indemnisation survient à l’aube de la sortie d’Astro Bot, la création PlayStation Studios la plus attendue de 2024 et qui sera certainement sacrée GOTY en fin d’année.

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Un cas similaire ? Pour beaucoup, l’annulation à la dernière minute de Concord rappelle la mésaventure Cyberpunk 2077, lorsque la version PS4 de ce dernier s’est vue retirée du jour au lendemain du store de la console ; toutes celles et ceux qui avaient acheté le jeu ont évidemment eu le droit à un joli remboursement. Une décision émanant là aussi de Sony, mais qui se différencie beaucoup de la problématique du jour : elle ne concerne pas une production maison, mais une création provenant d’un éditeur tiers, CD Projekt. La suppression de Cyberpunk 2077 du store de la PS4 n’avait donc pas pour objectif de renoncer à l’existence d’un titre, mais de réclamer un minimum qualité pour pouvoir accéder à la vente : le soft était tout simplement injouable lors de son lancement initial.

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ÊTRE OU NE PAS ÊTRE

ss_9e865c1c45f79a649b245f331ee5ccf7ce7d0d30.1920x1080Quand Concord est entrée en phase de pré-production sûrement en 2018 quand le studio Firewalk a ouvert ses portes , le jeu-service était à son paroxysme : Overwatch remportait tout juste le titre du jeu de l’année, Fortnite réussissait de son côté l’exploit de réunir plus de 10 millions de joueurs/joueuses fin 2017. La même année, tout le monde avait les yeux rivés sur le prometteur Anthem qui réalisait une apparition triomphante lors du feu E3. Le jeu-service avait tout de l’El Dorado vidéoludique. Depuis, de nombreuses productions se sont d’ailleurs saisies de cette terre d’opportunité ; un modèle économique qui permet d’engranger des sommes folles sur le long cours. À l’image de Days Gone qui a lui aussi loupé le coche du genre post-apocalyptique, Concord est apparu trop tardivement. Étant donné que les GaaS (Game as a Service) ont pour objectif de fidéliser leur public et que le jeu de Firewalk n’arrive pas à proposer autre chose que du déjà-vu, le soft s’est empêtré dans une gigantesque mélasse. Même sa direction artistique est peu inspirée, elle ressemble à un curieux mélange entre Overwatch et Les Gardiens de la Galaxie, qui n’était pourtant pas un exemple à suivre de ce côté-là. Mais la question n’est pas de savoir si Concord est un bon jeu ou non, ou de chercher à comprendre le pourquoi de son échec, mais plutôt de constater que Sony empêche une œuvre qui a mis huit années à voir le jour d’exister et c’est certainement ce point que je préfère retenir. 

Ubisoft a attendu que The Crew ait plusieurs suites avant de clôturer ses serveurs. Square Enix a patienté une année pour fermer Babylon’s Fall afin de respecter la création, l’équipe derrière cette dernière, ainsi que les rares joueurs et joueuses qui ont donné de leur temps. Sony, avec Concord, ne pense de son côté que par le biais de ses actionnaires. En annulant si précipitamment cette production, la société japonaise vient effacer l’œuvre de l’inconscient collectif, de l’histoire. Pour preuve, à moins d’une semaine du drame, tout le monde a oublié l’affaire Concord et les quelques traces de son existence ont tout simplement été supprimées, comme en atteste cette page du PlayStation Store normalement dédiée à Concord qui renvoie désormais sur une erreur enjolivée par la présence de la mascotte nouvellement née Astro Bot – décidément, elle est partout.

La préservation du jeu vidéo, un sujet cher du milieu, passe notamment par le fait de s’insurger quand on empêche ce qui est considéré par beaucoup comme un « mauvais jeu » d’exister. Surtout que, comme je le disais en introduction, un tel mouvement – par l’un des leaders du marché – ne peut que créer un énorme précédent : le message envoyé par Sony est que désormais, il n’y a plus de place pour les ratés, les insuccès, pire encore, pour les titres qui ne génèrent pas suffisamment d’argent. Si demain débarque un équivalent de Marvel’s Avengers par exemple, on peut facilement imaginer que le soft serait annulé avant Noël, alors que c’est peut-être l’une des productions qui m’a le plus occupé au cours de l’année 2021. Idem pour les potentiels futurs Suicide Squad ou Redfall, les derniers gros GaaS qui ont connu des échecs retentissants. Malgré des chiffres peu élogieux, ces titres ont tenu bon, ce qui permet aujourd’hui de s’attarder pleinement sur ce qu’ils racontent ou non, de mieux saisir ce que l’on a pu louper au moment de leur sortie respective par manque de recul. Pour donner un exemple tout bête, relancer Destruction AllStars, une autre production Sony, m’a fait prendre conscience de sa performance technique et visuelle que j’ai envie de décrire comme inégalée. Si Sony avait décidé de couper les serveurs du titre au bout d’un mois, je n’aurais pas pu me faire cette anecdotique et pourtant précieuse réflexion.

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VERS UN SECOND SOUFFLE ?

ss_9d9015b745c2583f3e637559d8b0e5d85c551719Peut-on espérer une renaissance de Concord dans les semaines ou les mois à venir ? C’est en tout cas ce qu’a tenté de faire croire Firewalk lorsque le studio a annoncé la fermeture des serveurs. « Nous avons décidé de mettre le jeu hors-ligne à partir du 6 septembre 2024 et d’explorer les options, y compris celles qui permettront de mieux atteindre nos joueurs ». Mais quand l’on observe les autres cas d’abandon assortis de cette promesse de revenir plus fort, les différentes équipes ne sont jamais allées au bout de leurs projets. Je pense une nouvelle fois à Crystal Dynamics qui avait de nombreuses idées en stocks pour Marvel’s Avengers mais qui a décidé d’arrêter les frais après plus d’un an de mises à jour. Je peux encore citer Anthem qui n’a pas réussi à fidéliser son public : BioWare a longuement aspiré à une version Next pour corriger le tir. Et si les ambitions étaient réellement présentes, le studio proposant même un suivi honnête de leurs travaux via leur blog, la réalité financière a rapidement rattrapé la petite équipe qui s’est vue réduite au fil des semaines, jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus qu’un noyau dur absolument sans espoir. Après près de deux années d’acharnement, Christian Dailey, le producteur exécutif de cette update majeure, annonçait l’annulation de ce Anthem Next. BioWare a toutefois le mérite d’avoir laissé le jeu voler de ses propres ailes : aujourd’hui encore, le titre reste jouable et est actuellement inclus dans le Game Pass pour permettre au plus grand nombre de profiter de cette œuvre qui a tout de même beaucoup à offrir.

Dans un esprit de transparence, nous voulions vous partager que nous avons pris la décision difficile d’arrêter notre nouveau travail de développement sur Anthem (alias Anthem Next). Cependant, nous continuerons à faire vivre le service Anthem tel qu’il existe aujourd’hui. Christian Dailey

Il y a donc de grandes chances que Concord suive le même chemin, surtout que les copies physiques du titre ont été retirées du marché. Mieux, maintenant que tout le monde a enterré le jeu, surclassé par Astro Bot et un nouveau hardware, la PS5 Pro, il est plus sage pour Sony de laisser l’œuvre multijoueur aux oubliettes et de regarder vers l’avenir, même si, encore une fois, cela se fait au détriment des joueurs et des joueuses, et empêche une production de s’inscrire dans l’histoire.

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